Il pleut encore aujourd’hui, comme presque tous les jours depuis trois mois maintenant. Ces dernières années la pluie tombait au compte-goutte, en suscitant grande anxiété chez les Pariotes : « S’ il ne pleut pas cette année encore, nous aurons soif », c’ était la devise de chaque début d’ automne.
Dr. Antonis Arkas
Les réserves d’eau de la nappe phréatique s’épuisent et le gaspillage continue. La désertification nous menace. Que peut faire la désalinisation face aux visiteurs qui inondent l’île pendant plusieurs mois chaque année ? Mais le ciel n’était pas du même avis. Mi-février on a mesuré huit cent millimètres de pluie au-dessus de Lefkes. Si cela continue ainsi, les chutes d’eau dépasseront le mètre, selon les experts. Les fontaines coulent, les torrents se gonflent et les haies en pierre s’écroulent. Les travaux agricoles sont suspendus.
Un vieillard, presque centenaire, me disait qu’il va encore pleuvoir, puisque les amandiers n’ont pas encore ouvert leurs bourgeons, en attendant les meilleurs jours. Il se rappelait que par le passé de telles pluies n’étaient pas inhabituelles et l’on craint une fois pour la fête d’ Agia Triada qui durait trois jours. Or, deux jours avant, le soleil brillait à nouveau et tant les églises que les tavernes s’empressaient pour les préparatifs. A la taverne «Charavgi » (Aube), cette année-là, le duo de Margiola-Elena qui viendrait de Naxos, pour chanter des chansons des îles, serait accompagné de violon, clarinette et santouri joués par des locaux.
Suite aux vêpres festives de la veille du Saint Esprit, les fidèles venus par centaines de tous les coins de l’ île mais aussi d’ Athènes (les membres de l’ Association de Lefkes) inondérent les ruelles de Lefkes qui montent vers la rue principale, d’ autres restaient aux cafés de la place du village pour déguster leur café ou leur ouzo, d’ autres préférèrent la rue piétonne dominée, à gauche aux pieds de la forêt, par les écoles, la Commune et la Maison de la Littérature, tandis que du côté droit il y avait la brasserie « Charavgi » (bière). Ce fut là que l’orchestre commença à s’accorder en invitant les fêtards à passer aux tables préparés avec soin sur le sensationnel balcon.
Plusieurs visiteurs s’y installèrent pour passer commande : des mets, du vin et de la bière. Entre autres, Giorgis et sa compagnie. C’était un bon père de famille et fêtard aussi. Mais son corps ne l’aidait pas, il exagérait par fois. Il se croyait très fort voire invincible. Il s’en prenait facilement aux autres et n’admettait aucune défaite. On le qualifiait de « nerveux ».
Quand je lui demandai qui avait gagné lors de son combat avec Zacharie, il me répondit « plus ou moins égalité ». Lorsque Zacharie l’apprit, il me répondit « va lui demander comment va son oreille que je lui avais si bien tirée qu’elle était restée gonflée pendant des jours ».
Au petit matin la fête battait son plein à « Charavgi ». Les clients faillirent en venir aux mains, lorsque l’orchestre commen¬ça à jouer « L’aube aux violons ». Il y avait trop de monde sur la piste qui voulait danser. Entre eux, Giorgis, repoussant les autres, parce qu’il voulait danser seul. Ce fut grâce au sang froid de certains hôtes qu’on évita la bagarre. Giorgis se trouva en dessous de la table où il s’ était assis pour se calmer. Et il se calma plus tard en dansant du tango, lorsqu’ il y eut coupure du courant (à cause de la pluie, selon certains) et un habitant de Lefkes joua la « comparsita » à l’harmonica en l’ honneur de Giorgis.
Les années s’écoulèrent et Giorgis, en âge avancé, tomba dans un âpre sentier et se blessa la tête. Une fois sa blessure cousue, il resta au Centre de Santé pour le suivi. L’après-midi de ce même jour il eut des spasmes et tomba dans le coma. Deux parents de famille, eux aussi âgés, lui rendirent visite et le crurent mort ; mais ses spasmes se poursuivaient !
Deux jours après il s’en alla aux cieux. On entendit un des parents de famille qui lui avait rendu visite au Centre de Santé, philosopher lors des funérailles : «le peuple a raison quand il dit que « c’est d’ abord l’âme qui sort et ensuite le nerf- caprice ». Le bienheureux fut «nerveux » depuis sa jeunesse, et c’est ainsi « nerveux » qu’il vint à bout après sa mort»!
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