À l’heure actuelle la Grèce est inondée par les cuisines internationales et autres “delicatessen” venant de l’étranger. Ce mode de vie gastronomique, soutenu par des dizaines de magazines, continue à exister en dépit de la crise économique. La Grèce, quand elle ne mange pas des pâtes au homard, cheviche, tartare, carpaccio et sushi, regarde à la TV le défilé des émissions spécialisées qui transforment les plateaux des studios à une vaste cuisine. Les 15 minutes de gloire (dixit d’Andy Warhol) est devenu l’obsession de tous ces cuisiniers afin de promouvoir et de faire connaître leurs restaurants ou leurs recettes. Des restaurants ne cessent d’ouvrir et de fermer, des chefs montent au zénith, ou s’éteignent.
Et dans cet environnement, quid de la véritable cuisine grecque ?
“La cuisine grecque n’a jamais été arrogante. Mon oncle était pêcheur amateur. Quand il pêchait, il nous apportait des écrevisses et autres homards que ma mère préparait avec des pâtes pour avoir quelque chose de plus de mettre sous la dent; nous n’avions pas le sentiment de faire quelque chose d’extraordinaire en dégustant un spaghetti au homard ! Surtout pas de glamour ! Le fait de mesurer certaines choses en fonction de leur valeur économique et non pas sur la base de leur valeur gustative, c’est ça qui ruine la cuisine séculaire “, a commenté avec justesse et sagesse la regrettée Evi Voutsina.
Il se peut que l’alimentation d’aujourd’hui ait pu être rehaussée en termes de statut social et/ou du plaisir culinaire (dans le meilleur de cas) ou au contraire avoir perdu son âme à cause des produits alimentaires insipides avec la mondialisation du goût et des industries agroalimentaires, cependant dans deux cas, elle a perdu son caractère social et culturel d’antan. La saveur a perdu le pouvoir primaire ce qui est préjudiciable aussi bien pour les hommes que pour le terroir.
Et ce de tout cela qui se passe en Grèce, voire à une échelle mondiale, qu’il est était question à la foire-expo de «Terra Madre et Salone del Gusto» de Slowfood à Turin.
Pour ceux qui sont plus jeunes, on rappelle que l’origine du mouvement de SlowFood vers la fin des années ’80 était dû aux intentions d’une chaîne de restauration rapide d’ouvrir un fastfood sur la Piazza di Spagna à Rome, symbole de la culture italienne. Le Slowfood s’est fixé comme objectif principal de protéger les traditions et les cultures culinaires locales du monde entier, contre l’industrialisation de l’agriculture et de l’homogénéisation culturelle que tend à imposer la mondialisation économique.
Le Slowfood à Turin a présenté ses réalisations chiffrées, 1.000.000 d’activistes, 100.000 membres, 3.000 communautés (convivia) dans 160 pays, 3.800 produits sur l’Arche du Goût, 2.600 jardins-potagers en Afrique, etc.
En même temps avec des slogans et des données statistiques, l’organisation a visé à consolider sa stratégie : Des slogans tels que : «Défendons l’avenir» se trouvaient dans les affiches et les posters, comme le bilan portant sur la destruction de la biodiversité de la Terre : «Au cours des 10.000 dernières années, l’homme a connu des millions d’espèces. Ces 70 dernières années, nous avons perdu 75% d’entre eux. Chaque année nous perdons 27.000 espèces animales et végétales, c’est à dire 72 par jour et 3 par heure. “
“Nous perdons la joie de manger et avec lui nos traditions, les techniques de préparation des plats propre à chaque lieu. Pire encore, nous perdons peu à peu les saveurs que jadis on connaissait bien … “, déclare le président du mouvement Slowfood Carlo Petrini, ce visionnaire –défenseur de la nourriture locale, qui à chaque occasion il nous pousse à manger des aliments produits sur place, favorisant ainsi les traditions et la culture locale et bien sûr la biodiversité gastronomie et il continue :
«Nous allons continuer à réclamer haut et fort de ne pas écarter des petits producteurs des marchés en leur imposant des prix d’achat au rabais, mais au contraire d’honorer leur travail et les difficultés qu’ils rencontrent dans un environnement hostile à la qualité, à la nourriture saine, au bon goût et aux gens qui travaillent la terre … “
L’un des thèmes développés au théâtre Carignano concernait les chefs-célébrités ou non, ces acteurs de la télévision ayant un impact énorme sur l’audimat grâce aux dizaines de spectacles et autres concours, assortis de cette présence étouffante et en surdose des modes de cuisson et autres produits comestibles fabriqués par l’industrie agro-alimentaire. Les chefs, ces ambassadeurs de la gastronomie, au lieu de soutenir et annoncer les nouveaux produits venant de grands groupes multinationaux, pourraient se positionner plus activement en faveur de la biodiversité, de la qualité des aliments et de renforcer la présence les petits producteurs en adoptant leur démarche.
C’est ainsi que s’est posée la question essentielle et qui a conduit à une nouvelle éthique : «Se i grandi chef si alleano con i contadini ?» (Et si les grands chefs prennent la défense des agriculteurs ?)
“Adopter les producteurs” a été le premier slogan aussitôt suivi par un second : “Cuisinez et attirez ainsi les gens à cuisiner. Ne pas laisser pas les multinationales cuisiner pour nous.”
Et tandis que l’exposition «Salone de Gusto de Slow Food» ait été inauguré par Sergio Mattarella, le Président de la République italienne, afin de démontrer l’importance que l’état italien accorde à la gastronomie du pays, en Grèce la discussion sur la gastronomie et sa contribution à l’identité nationale/régionale/locale et le développement économique qui en découlerait, se trouve encore au niveau rhétorique (sauf à quelques exceptions près que nous verrons ensemble prochainement).
Ouvrons-nous les yeux et laissons-nous soutenir les chefs-cuisiniers qui osent flirter avec ces belles choses.
Militons en faveur d’une nouvelle gastronomie morale !
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